Le 7 mai 2017, Emmanuel M. remportait l’élection présidentielle française. 66,1% des suffrages ont donné vainqueur un banquier sans passé et sans visage. À 39 ans, il était le plus jeune président du pays et, transgression soixante-huitarde oblige, il était en couple avec une boomeuse. Érigeant ainsi la jeunesse en valeur absolue, et l’éternité de nos aînés en vérité, un serpent en costard s’apprêtait à régner sur nos vies. Évidemment, le serpent ne s’est pas présenté aussi crûment à nous. Pour enjôler les foules, il a choisi le masque. Notre serpent s’est déguisé. Malheureusement, paupières fixes, expressions inexistantes et théâtralité de supermarché n’ont pas suffi pour qu’il soit démasqué en amont de ce vote.
À défaut de faire tomber le masque d’Emmanuel M., nous pourrions au moins lever celui de notre déni – la mémoire est courte, hélas ! et nous avons vu tous les drames –, savamment orchestré par un mensonge à grande échelle. Comment oublier, sous le règne du serpent, les masques à gaz des gilets jaunes face aux lacrymogènes de la police ? Comment oublier le manque de masques à oxygène au début de la pandémie de Covid ? Comment oublier les masques chirurgicaux imposés à tous, sans distinction, même aux enfants, pendant plus de deux ans ? Comment oublier le désert au temps suspendu dans lequel nous avons sombré, que nous ayons traversé ou non la rue ? Comment oublier le masque funéraire que le serpent a déposé sur nos vies comme si, pour lui, nous étions déjà morts ?
Il arrive que le déni, une fois levé, engendre une immense honte rétrospective. Mais cette dernière est toujours préférable à ce refus des tréfonds. Si nous ne l’affrontons pas, cette honte de la soumission au serpent – qui ne tente que le pire contre nous –, nous allons renquiller pour cinq ans en apnée, avec un masque de plongée. Nous pourrons certes nous oublier encore davantage avec des masques de beauté ou de carnaval mais nous saurons, au fond du cœur, qu’il y a toujours un loup.
Bibliographie
Snakes in suits, de Robert Hare (2006)
Contre Macron, de Juan Branco (2017)
Crépuscule, de Juan Branco (2019)
Abattre l’ennemi, de Juan Branco (2021)
Emmanuelle, chanté par Pierre Bachelet (1974)
Illustration
Détournement d'une toile de Salvador Dali par Bill Flowers
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