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Con-sommation




« À travers le sexe, nous voulions être bouleversés par l’âme. Les parties génitales n’étaient que le défectueux moyen de cette pénétration de l’autre jusqu’à l’impénétrable. »

Fabrice Hadjadj


« Mes amours ? Je me suis éprise. Je me suis méprise. Je me suis reprise. »

Cécile Sorel



C’est ainsi que les hommes vivent, en sommant les cons (du latin cuniculus, signifiant lapin, terrier) de con-tenter, de con-fédérer, de con-céder, de con-cerner, de con-danser, de con-fesser, de con-fondre, de con-former, de con-figurer, de con-sentir, de con-quérir et même parfois de concevoir des enfants par con-descendance ou de sceller des fiançailles par con-promis. Regards obliques et lubriques posés sur les femmes réduites à des vulves ouvertes, putains sans cœur, les invitant toujours et sans grand ménagement, et depuis des siècles, à con-casser pour la con-fusion, la con-centration, la con-passion recherchées par eux-seuls. Des cons posés ici et là, au service du contentement de verges ébahies et se rêvant unique comblement d’une béance impossible à cerner, à nommer. Toutes entières à cette con-sommation, le con-fort en bandoulière depuis la puberté et croyant sincèrement poursuivre leurs desiderata à elles sur ce chemin semé de bûches, les femmes ne récoltent souvent que des idées ratées. Car aucune ne se comble avec un pénis bien fiché dans le vagin – toutes les femmes en savent quelque chose, de près ou de loin. Ce comble ment, incontestablement ! Boniment de bonhommes car, au pied de la lettre, ils n'attendent généralement d’elles que le pied tout court. Le reste ne les intéresse guère. Il faut juste que ça mouille, que leur engin ait l’air de régler un problème ontologique dont ils se fichent et que ça fasse taire – au moins pour quelques heures, voire quelques semaines s’ils ont eu la chance de tomber sur une bonne pâte gentiment muette.


Mais voilà qu’une nouvelle conjugaison des con-cessions pointe son nez, venant ainsi conjurer les con-damnations. La concierge est dans l'escalier et ces messieurs se demandent où toutes ces bonnes femmes ont bien pu cacher la clé. Où sont-elles passées et est-ce qu’elles reviendront ? La musique change et il est maintenant possible pour certaines femmes de s’éloigner d’injonctions contradictoires à rendre chèvre et de faire le choix d’un vrai retrait. Le progrès, à bout de souffle, en pousse quelques-unes dans un retour à un ancestral qui n’a jamais trahi et nous dévoile par-là à nouveau une vérité millénaire : le continent noir peut se faire continence. Le cœur est triste hélas et la chatte peut devenir chaste. Maison closed et clauses révisées. Les nouvelles recluses peuvent se tourner enfin vers l’éclosion. Abscisses et ordonnées de l'abstinence, les voilà, les intrépides de l’aventure hystérique la plus merveilleuse qui soit – celle de la solitude et de l’auto-comblement par le travail –, partant enfin à la conquête de leur béance en solitaire ! Sans verges ni bagages, elles commencent lentement à regarder ailleurs, là où leur corps leur appartient en propre, là où elles ne chercheront plus ni à susciter le désir – sans jamais se poser la question du leur/leurre –, ni à incarner, via leurs cons, des fantasmes qui n’appartiennent pas à leurs imaginaires. L’heure de l’invention a sonné, concise et peut-être encore un peu conceptuelle. Qu’importe ! Sur ce chemin, en quête d’une consolation de l’âme, elles honorent enfin leurs cœurs ardents, en bonnes sœurs volontairement incarcérées. Elles sont celles qui cherchent toujours l’Amour sans le trouver encore. Elles sont celles qui portent dans leur creux toutes les merveilles de l’impénétrable ardeur des girons. Elles sont les nouvelles béguines, béances glorieuses qui refusent que leur prétendue libération sexuelle ne soit en réalité que la Via Romana pour un libéralisme de leur chair offerte gratuitement et sans contrepartie. Remercions-les de faire taire les corps un moment, ou à jamais, pour tenter d’annihiler la pornographie qui détruit les liens et pour retrouver le souffle des émotions car faire gagner le cœur est bien aujourd’hui la seule véritable transgression.




Bibliographie

La Profondeur des sexes, de Fabrice Hadjadj (2008)

La Fin de l’amour, Enquête sur un désarroi contemporain, d’Eva Illouz (2020)

La Chair est triste hélas, d’Ovidie (2023)



Illustration

Great Wall of Vagina Panel 10, de Jamie McCartney (2011)




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