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La castrastrophe



« L'intolérance offre son aide, mais c'est le pouvoir qu'elle désire ; brutale, elle écarte de son chemin les dissidents, les mécontents, mais elle accorde ses grâces à ceux qui, l'adorant, reçoivent d'elle, avec soumission, la lumière de leurs propres yeux. »

Virginia Woolf



Après avoir chanté les vertus érotiques du Banana split dans les années 80, en combinaison rose moulante, voilà Lio qui fait les louanges de la chasteté sur une grande chaîne de radio ! Ce n’est pas une blague : sa couette ne virevolte plus et ses jambes ont arrêté de danser. Et elle n’est pas la seule à défendre cela. La chasteté comme réponse à une domination masculine est à la mode – domination dont on se demande bien où elle a pu passer sous le ciel de l’Occident matriarcal ! La chasteté comme acte dissident et révolutionnaire – rappelons que les évangélistes américains ont devancé les néo-féministes sur ce coup-là il y a des années. La chasteté, pour toujours moins de plaisir et toujours plus de haine. La nouvelle arme contre les hommes serait donc de croiser les jambes à double tour : une façon de ne jamais regarder en face ce qui fait défaut dans le féminin ? Une façon donc de dire la faute des femmes, encore et encore, mais sous une forme absolument inédite ? Misère ! Où sont-elles, les nouvelles prudes, contre le poids des normes (mariage, maternité) qui pèsent sur les femmes du monde entier, pour le droit à l’avortement, pour l’accès à l’éducation dans les pays qui empêchent les fillettes d’étudier ?


A coups d’éclats multiples réclamant le pouvoir sous les ciels libéraux où tout est permis depuis plus de cinquante ans, nous voilà passant de la recherche essentielle du phallus (accessible à toutes les courageuses qui savent se donner un peu de peine pour accéder à leur désir en bravant l’insatisfaction chronique, le manque et la trouille) à la convoitise du pénis ! La grandeur de la condition féminine contre un bout de viande – dont personne n’est capable de dire (les hommes y compris) ce qu’il peut vraiment nous rapporter… Le désir contre l’étal du boucher. Les cieux contre quelques centimètres de corps caverneux. Ce qui pique nos cœurs se niche sans doute dans cette évolution à rebours : les femmes des années 60-70, sorties de la caverne où régnait le pénis pour accéder enfin aux joies infinies du phallus, voient aujourd’hui leurs filles y retourner de leur plein gré. Elles en veulent, elles, de la caverne caverneuse ! Et pour ce faire, elles se font juges, curés, procureurs, censeurs, inquisiteurs, grammairiens, législateurs – à mille lieux des enjeux inconscients qui les animent vraiment. L’heure est à la castration. L’heure est à la catastrophe. L’heure est à la castratrophe !


Est-il besoin de dire que la recherche du phallus n’empêche en rien de désirer ou non le pénis ? Est-il besoin de préciser aussi que le phallus n’est pas le pénis ? Il semble que oui… Que Simone nous manque (la Simone d’avant l’imbécile moulinette outre-Atlantique de la French Theory), elle qui écrivait, faisant œuvre, et qui se détendait ensuite sous les fessées de son amant américain ou sous les langues délicieuses de ses maîtresses ! Simone partie, et toutes les femmes du monde se divisent – les unes au service d’un pénis à chiper, les autres en quête d’un phallus réellement soutenant. Une vraie tour de Babel des fainéantes et des intrépides ! Est-il besoin de dire qu’en revanche, la convoitise du pénis empêche d’accéder au phallus ? C’est un chiffon rouge, une diversion de pacotille, une démarche tapageuse et stérile vouée à l’échec le plus net. Désirer le pénis, c’est refuser le chemin pour le phallus. Refuser la castration originelle et structurante, c’est croire bêtement qu’on liquide sa condition tout en signant pour ne jamais en sortir. C’est alimenter la frustration, l’aigreur, le ressentiment et la haine de soi – par ricochet, la haine de l’autre évidemment. La question n’est plus d’être femme mais d’être en possession de : être ou avoir (le pénis) ? Etre dans l’Avoir et non plus être dans l’Être. Si ça ne dépasse pas, si je n’en ai pas, j’en veux un aussi ! Nous pataugeons au beau milieu du Verleugnung – du déni, du démenti, du désaveu. Or, ne pas avoir est précisément ce qui permet de tout imaginer, d’ouvrir le champ de tous les possibles. Le règne aberrant de la permanence de l’objet, ou comment nous sombrons dans un prosaïque navrant qui supplante toute quête vraiment désirante... Enfin, est-il besoin de rappeler que la volonté de pouvoir n’est pas la volonté de puissance ?




Bibliographie

Trois essais sur la théorie de la sexualité, de Sigmund Freud (1905)

L’Homme aux loups, de Sigmund Freud (1918)

Article « L’organisation génitale infantile », de Sigmund Freud (1923)

Ecrits, de Jacques Lacan (1966)

Le Deuxième sexe, de Simone de Beauvoir (1949)

Mrs Dalloway, de Virginia Woolf (1925)

Fragments posthumes, de Friedrich Nietzsche (1976)


Filmographie

La Cité des femmes, de Federico Fellini (1980)


Miss Maggie, chanté par Renaud (1985)




Illustration

Louise Bourgeois et une de ses Fillettes, en 1982


Copyright © 2020 Justine Gossart, tous droits réservés.

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