« Mon premier sentiment, une fois la résolution bien prise et mes réponses dépêchées, fut une expansion d’allègement infini et de délivrance. »
Sainte-Beuve
Il en est qui trouvent les ruptures tristes, navrantes et difficiles. Il en est qui ont tout de suite en tête des entêtements déchirants et de pauvres hères qui perdent tragiquement la tête. Mais nous affirmons ici que les ruptures peuvent être belles, grandes, exaltantes ! Qu’elles portent en elles, souvent, tout ce qui palpite vraiment, tout ce qui est en vie. Qu’elles sont l’élan génial d’un départ sans retour et chargé d’infinis possibles. Rompre, c’est mourir pour renaître à soi-même, couper le fil qui retient, briser les chaînes qui condamnent. C’est reprendre ses droits. C’est hurler, d’un seul cri, tout ce qu’on a de vie en soi. C’est accepter avec délice le fracas, le désordre, l’anormal.
D’une rupture l’autre, voici la vraie trajectoire qui se dessine enfin. Le chemin devient lentement plus cohérent, plus praticable, plus doux. Il connaît plus de zones ombragées, pleines de fraîcheur grâce aux branches, au-dessus, qui le protègent des malheurs du Ciel. Il connaît aussi plus de zones ensoleillées, palpitantes comme sous une chaleur italienne. Les graviers assassins et bruyants des allées toutes tracées font place à une gentille pelouse, un peu moelleuse, sur laquelle on peut d’abord marcher pieds nus en solitaire quand il fait beau, puis, à la faveur d’un dimanche au bord de l’eau, inviter seulement les gens qu’on aime à s’asseoir et à siroter un verre. Rompre, parfois, c’est arrêter de se corrompre.
D’une rupture l’autre, quelque chose s’allège. Le paquet de linge sale se trie et l'on comprend que les vêtements que nous portions alors sur notre dos n’étaient pas tous à nous – chemise-angoisses-de-Papa, robe-phobies-de-Maman, salopette-terreur-du-noir-du-grand-père, crinoline-peur-de-l’engagement-de-l’inconnue-aïeule-du-Loiret, blouson-perversion-du-conjoint ou encore tunique-jalousie-de-la-sœur-aînée... Nous les rendons à leurs propriétaires et nous pouvons maintenant reprendre notre marche plus légers enfin de tout ce qui pesait sans motif, simplement par ignorante fidélité. Il est maintenant possible pour nous de sautiller, de s’arrêter pour regarder le ciel – le nôtre ! –, de rentrer tard et de rester veiller au chevet de la nuit quand ça nous chante. Rompre, enfin, c’est arrêter de s'interrompre.
Illustration
La galerie du HMS Calcutta (Portsmouth), de James Tissot (1876)
Copyright © 2021 Justine Gossart, tous droits réservés.