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Quand l’Église catholique vend son âme au développement personnel




« Le monde des fées n’est autre que le pays ensoleillé du bon sens. Ce n’est pas la terre qui juge le ciel, mais le ciel qui juge la terre ; pour moi, du moins, ce n’était pas la terre qui critiquait le pays des elfes, mais le pays des elfes qui critiquait la terre. »

G. K. Chesterton



Une célèbre librairie parisienne connue notamment pour le foisonnement de ses ouvrages théologiques chrétiens – librairie dont nous tairons le nom –, dispose d’un rayon « Étapes de la vie » où l’on trouve depuis quelques années un sous-rayon « Développement spirituel ». Après avoir tiqué sur cette curieuse alliance de mots (le champ lexical de l’entreprenariat mêlé à celui de la spiritualité), nous nous sommes penchés sur ces tables. Couvertures anormalement chamarrées avec fleurs de pissenlit et ombres chinoises de visages sur couchers de soleil orangés, typographies de titres enfantines et déformées, illustrations régressives ou parfaitement niaises et parfois, même, la photographie d’un auteur inconnu au bataillon porteur d’un sourire béat et censé nous vendre les clés d’un bonheur parfait et sans faille. Petit florilège de ces ouvrages : Petit manuel d’imperfection spirituelle, La grande aventure d’être soi, Cherche la paix et porte-la au monde !, 8 jours pour prendre une décision, Oui, la vie éternelle existe, Femmes en quête de guérison, Adieu tristesse ! Vive l’amour ! Debout les gars !, Puissance de la gratitude vers la vraie joie, Chéri(e) j’ai quelque chose à te dire, Aimer l’autre sans l’utiliser, Coaché par Jeanne d’Arc, Ose la vie nouvelle ! Je te demande pardon, Le Management selon Jésus… Autant d’idioties que l’on ne s’attend pas à trouver dans pareil endroit, face à la majestueuse église Saint-Sulpice, surtout quand on a poussé la porte en quête des grands textes qui ont fait l’histoire de l’humanité. Tout un programme nous est donc proposé pour ne surtout pas nous pencher sur autre chose que nous-mêmes. La spiritualité, qui a dévoyé la mystique depuis trop longtemps, nous invite à questionner notre relation aux autres, l’estime de nous, notre croissance intérieure (à ce stade, nous n’avons toujours pas compris ce que cela recouvrait), la gestion de nos émotions, l’amélioration de notre sérénité, notre savoir-être (tiens, comme en entreprise !), notre motivation, etc. Les questions posées supposent de trouver des réponses, évidemment. Deux cents pages environ viendront à bout de questionnements tels que ceux-ci : comment pouvons-nous améliorer nos liens, comment augmenter notre bien-être, comment éviter les difficultés ou encore comment apprendre à mieux vivre. Vous l’aurez compris : plus besoin de Bible. Quelques bouquins colorés, une addition salée et nous serons libérés de nos mauvaises pensées, nous réussirons à lâcher prise, nous aurons appris à visualiser nos rêves pour les accomplir, nous saurons aussi bien vivre l’instant présent que nous entourer des bonnes personnes et enfin nous pourrons nous dire détachés du regard des autres et pleinement NOUS.


Qu’est-il donc arrivé au christianisme pour qu’une idée si incroyablement dissidente s’en vienne à tapiner avec le pire des temps en matière d’accompagnement psychique ? Qu’est-il arrivé à certains hommes d’église pour qu’ils fricotent avec des coaches à la faveur de séminaires douteux, validés par le diocèse of course, et dispensés dans des paroisses ? Qu’est-il arrivé pour que des hommes consacrés en arrivent à troquer Jésus et deux mille ans de textes chrétiens contre des conseils d’entrepreneurs biberonnés au management américain et aux délires New Age de la côté ouest ? Qu’est-il arrivé pour que cette déferlante de démagogie libérale parvienne à se frayer une autoroute sur un terreau millénaire ? Pas sûr que le Christ et les apôtres aient projeté de nous inviter à trouver le chemin pour valoriser notre potentiel et améliorer notre qualité de vie… Pas sûr qu’ils aient souhaité faire de nous de parfaits c(h)rétins incultes en quête de gratitude au rabais : « Aujourd’hui, je remercie la vie pour la ratatouille à moins de 30€ que j’ai mangée en terrasse en compagnie de mon amie Charlotte, sous un petit rayon de soleil de printemps. » Pas sûr qu’ils aient nourri dans leur cœur la secrète espérance de nous voir chercher la pensée positive… Les Saintes Ecritures invitent l’homme à quêter le merveilleux, le monde des fées dont parlait si bien Chesterton, seul remède au matérialisme de nos temps qui ne fabrique que des êtres errant loin de la transcendance et bizarrement collés à leur nombril.


Désolation de voir des libraires, des théologiens et des prêtres refuser l’accès à la Parole à des êtres qui ont soif de détours plus grands qu’eux et de questions qui entraînent plus de questions à leur suite que de réponses. Face à ce marketing fou valorisant une pensée dévalorisée, comment ne pas devenir iconoclaste ? Quand des images semblables à des publicités remplacent le Verbe, nous avons envie de crier. Non… à la place, remplaçons simplement le c du verbe crier par le p du Père et faisons gagner l’ordre du Symbolique qui n’a besoin de rien d’autre que de lui-même quand les hommes ne sont pas encore tout à fait morts à eux-mêmes.




Bibliographie

Orthodoxie, de G. K. Chesterton (1908)



Illustration

Photographie personnelle - Église Saint-Sulpice à Paris, 13 février 2018.




Copyright © 2023 Justine Gossart, tous droits réservés.

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