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Une condition rebelle



Pour Aurélie.


Au lieu d’apprendre aux petites filles à se défendre face aux méchants garçons, et aux petits garçons à être plus respectueux envers les gentilles filles, ne serait-il pas plus judicieux de leur expliquer que leur structure respective (pour majorité hystérique pour les femmes et obsessionnelle pour les hommes) se heurtera tout au long de leur vie à la structure de l’autre ? Parlons structures alors car il n’y a pas d’âge pour avoir les clés.


Pour savoir si vous en êtes, du clan d’Emma Bovary ou d’Anna Karénine, demandez-vous d’abord si l’idée de liberté vous chatouille souvent – l’idée de liberté peut se loger partout, aussi bien dans une file d’attente qui n’avance pas que lors d’un énième et interminable repas de famille. Est-elle douloureuse ? Trouve-t-elle de quoi s’épanouir ou est-elle empêchée ? Avez-vous des symptômes si c’est le cas (mal de dos, difficulté à respirer, eczéma, migraine, etc.) ? Aimez-vous parler ? Pensez-vous que le langage est une arme aussi puissante qu’un canon ? Vous arrive-t-il de pleurer, de crier, de dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas ? Pensez-vous parfois être le jouet de vos humeurs ? Aimez-vous l’aventure ? Nous ne posons là que des questions rhétoriques, afin d’éventuellement s’y reconnaître en souriant. Si vous avez souri et si vous vous êtes reconnue, nous aimerions vous dire que la névrose hystérique est une névrose à la fois lumineuse et complexe. Nous aimerions vous dire qu’il faudra être prêtes à beaucoup de déceptions pour vivre malgré tout et que l’intensité recherchée ne sera pas nécessairement celle que vous auriez espérée. Nous aimerions vous dire de rester vigilantes et de ne céder sur rien. Parce que vous serez courageuses mais souvent seules ; parce que vous voudrez faire gagner la Vérité au milieu d’un désert d’indifférents ; parce que vous proposerez des valses à des croque-morts et des possibles d’un autre siècle à des peureux ; parce qu’une part de vous semblera mourir longtemps parfois avant de renaître de ses cendres comme un phénix. Apprenez à vous écouter : vous savez toutes depuis le berceau que deux, c’est le commencement de la fin. Quelque chose vous met en garde au fond de la gorge malgré votre goût insensé pour le partage et le don… Et vous passerez une vie entière à vous débattre entre une condition pavillonnaire et des noces rebelles… Ne soyez pas dupes des mots : aimer l’autre, c’est accepter de ne pas comprendre une langue étrangère. Prenez acte : quand on ne comprend pas, on se fie à soi !

Pour savoir si vous en êtes, du clan de Julien Sorel ou de Bartleby, demandez-vous d’abord si l’idée de sécurité vous chatouille souvent – l’idée de sécurité peut se loger partout, aussi bien dans la sphère privée que dans l’espace public. Est-elle agréable ? Trouve-t-elle de quoi se satisfaire ou non ? Avez-vous des symptômes si c’est le cas (envie de ranger, de faire vos comptes, de prendre plusieurs douches par jour, de dire de méchantes choses gratuites à de parfaits inconnus, de faire la morale, etc.) ? Aimez-vous rester muet ? Pensez-vous que la sexualité est une arme aussi puissante qu’un canon ? Vous arrive-t-il de serrer les dents, de vous taire, de garder pour vous ce que beaucoup estiment scandaleux, révoltant et essentiel ? Pensez-vous être maître de vous ? Aimez-vous les habitudes ? Nous ne posons là que des questions rhétoriques, afin d’éventuellement s’y reconnaître en souriant. Si vous avez souri et si vous vous êtes reconnu, nous aimerions vous dire que la névrose obsessionnelle est une névrose à la fois noire et simple. Nous aimerions vous dire qu’il faudra être prêts à beaucoup de retenue pour vivre malgré tout et que l’intensité à masquer ne sera pas nécessairement aussi docile que vous l’auriez espérée. Nous aimerions vous dire de rester vigilants et de céder parfois. Parce que vous serez lâches mais souvent accompagnés ; parce que vous voudrez faire gagner la Morale contre la justice au milieu d’une foule de dissidentes indomptables ; parce que vous proposerez des plateaux-télé à des valseuses et des interdits d’un autre siècle à des courageuses ; parce qu’une part de vous semblera vivre longtemps parfois avant de céder à la signature d’un contrat de pompes funèbres. Apprenez à vous écouter : vous savez tous depuis le berceau que deux, c’est le commencement de la fin. Quelque chose vous met en garde au fond de la gorge malgré votre goût insensé pour le pouvoir et l'ordre… Et vous passerez une vie entière à vous débattre entre une condition pavillonnaire et des noces rebelles… Ne soyez pas dupes des mots : aimer l’autre, c’est accepter de ne pas comprendre une langue étrangère. Prenez acte : quand on ne comprend pas, on se fie à soi !


« Il n’y a pas de rapport sexuel. » Lacan nous l’a enseigné. Les hommes le plus souvent ne veulent pas d’histoire(s) – sembler ne venir de nulle part et ne pas faire de vagues. Les femmes le plus souvent veulent des histoires, même abracadabrantesques. Et qu’on cesse de parler de concession – nom d’une pipe ! –, ne sachant jamais dans notre bonne vieille langue française si l’on parle d’abdication ou de caveau réservé sur cent ans ! Dans les deux cas, c’est une tragédie qui creuse sa tombe dans le langage.

Bibliographie

La Condition pavillonnaire, de Sophie Divry (2014)

Filmographie

Les Noces rebelles, de Sam Mendes (2008)

Illustration

Three-Room Dwelling (détail), de Frances Glessner Lee (1878-1962) – Collection of the Harvard Medical School, Harvard University, Cambridge (1944-46)



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